Paris du moyen age  Partie 4

 

 

La fin du procès[modifier | modifier le code]

 

Le concile de Vienne[modifier | modifier le code]

 

 

 

Le grand concile œcuménique, prévu à Vienne, doit statuer sur trois problèmes majeurs : statuer sur le sort de l'ordre, discuter de la réforme de l'Église et prévoir une aide à la Terre sainte185. En plus de la curie pontificale et ses suffrageants, cent-soixante-et-un prélats sont convoqués. Toute la chrétienté doit être représentée, de l'Irlande à l'archevêché de Riga185. Les quatre grands patriarches de l'Église sont priés d'y assister, ainsi que les grands princes: le roi des Romains, les souverains de France, d'Angleterre, de la péninsule Ibérique, de Sicile, de Hongrie, de Bohême, de Chypre et de Scandinavie185.

 

Le concile de Vienne est ouvert par Clément V le 16 octobre 1311 au sein de la cathédrale Saint-Maurice de Vienne185,186. Toutefois, l'affaire se présente mal car seulement cent quatorze prélats se présentent au concile et aucun roi ne vient, à part Philippe IV le Bel qui arrive au printemps 1312 non pour prendre part aux travaux mais pour faire pression sur le pape au sujet de l'ordre du Temple187. Clément V suspend les fonctions des prélats qui n'ont pas présenté d'excuses valables pour justifier leur absence187. Plusieurs facteurs expliquent que la procédure ne sera pas de tout repos. Tout d'abord, le pape a autorisé plusieurs prélats à étudier l'affaire mais, en raison de sa complexité, certains doutent d'une conclusion rapide à la procédure187. Ensuite, le cynisme des laïcs et des clercs, qui s'accroît au cours du xiiie siècle, pèse lourdement sur le pontificat de Clément V187. Enfin, le fait que le concile ait lieu à Vienne le met sous influence française, avec pour conséquence de justifier l'attitude de ceux qui n'ont au départ qu'un enthousiasme mitigé187.

 

Au cours des mois précédents, le pape fait réunir toutes les preuves contre les Templiers afin de les produire devant le concile187. En revanche, plusieurs enquêtes ne sont pas encore terminées et, en août 1311, Clément V ordonne de torturer les récalcitrants en Castille, en Aragon, au Portugal, en Toscane, en Lombardie, à Chypre et en Grèce afin d'obtenir les aveux attendus pour la procédure187. Juste avant le concile, le pape séjourne au prieuré du Groseau, en compagnie de quelques cardinaux, afin d'examiner les documents avec le concours de prélats et d'hommes instruits de Malaucène, près d'Orange188. Ces prélats sont probablement les auteurs des rubricae, ou résumés de la procédure, qui seront utilisés à Vienne188. Seul celui concernant le procès en Angleterre nous est parvenu et, si on le prend en exemple, on peut difficilement croire qu'il n'y a pas de parti pris dans la rédaction de ces résumés188. Le texte insiste sur les commérages et les on-dit des témoins étrangers à l'Ordre et exclut les déclarations d'innocence faites par une large majorité des templiers anglais188. Les prélats présents au concile savent qu'ils reçoivent seulement des résumés et que, même s'ils peuvent consulter l'intégralité des dépositions, le manque de temps les en empêche189.

 

En outre, le pape invite le clergé à donner son avis par écrit189. Seuls deux rapports subsistent, tout d'abord celui de Jacques Duèzeévêque d'Avignon et futur Jean XXII, et celui de Guillaume III Le Maireévêque d'Angers189. L'évêque d'Avignon estime qu'on dispose d'assez de preuves pour prononcer un jugement sur la culpabilité ou l'innocence de l'ordre190. Il a le sentiment qu'il faut condamner l'Ordre, car il s'est écarté de sa vocation, et que le pape a toute autorité pour procéder190. L'évêque d'Angers est ouvertement plus hostile à l'Ordre. Le pape, selon lui, doit supprimer l'Ordre ex officio, « par rigueur de justice ou plénitude de pouvoir » car cet ordre « a déjà rendu suspect le nom chrétien parmi les incroyants et les infidèles, et ébranlé quelques-uns des fidèles dans la fermeté de leur foi »190. Il ajoute que les biens de l'Ordre doivent être réservés pour la Terre sainte190. Selon lui, l'argument selon lequel l'Ordre était bon à sa fondation est sans valeur, car ce dernier en a fait abstraction par la suite190. Enfin, il précise que l'Ordre doit être supprimé au plus vite car sa survivance affaiblirait l'Église191.

 

Clément V a officiellement permis aux Templiers de venir défendre l'Ordre à Vienne, même s'il ne s'attend pas à ce qu'ils le fassent191. Pourtant, fin octobre 1311, sept Templiers, bientôt suivis par deux autres, se portent volontaires pour la défense, affirmant de surcroît qu'il y a mille cinq cent à deux mille frères à Lyon et dans ses environs prêts à les soutenir191. Clément V ordonne de les faire emprisonner et convoque « le geôlier au zèle le plus éprouvé », probablement pour éviter un coup de force comparable à celui qui s'est produit à Mayence et également pour régler au plus vite cet incident191. Il semble établi que le pape veut mettre un terme à l'affaire des Templiers191. Lors de la première session, il annonce qu'il est presque impossible de débattre de l'affaire avec toute l'assemblée et que conséquemment, une commission composée des plus hauts prélats de différents pays sera chargée d'examiner les preuves192. Pendant plusieurs jours, ses membres entendent les dépositions et résumés du procès. Alors que Clément V souhaite la suppression définitive de l'ordre, le transfert des biens à l'ordre de l'Hôpital et qu'il dit avoir confiance dans les membres de la commission pour aller dans le même sens, ces derniers préfèrent plutôt la création d'un nouvel Ordre192. Malgré cette divergence d'opinion, le pape espère en finir avec le concile vers le 20 janvier 1312192. Cependant, l'incident provoqué par les sept Templiers a marqué les esprits et une forte majorité des prélats présents au concile est favorable, en décembre 1311, à ce que les frères puissent présenter une défense193. Seuls les prélats français sont hostiles à une telle défense, par peur du roi193.

 

L'inquiétude commence à régner sur le concile, d'autant plus que la mort et les maladies graves frappent de plein fouet parmi les dignitaires de l'Église. Les cardinaux Leonardo Patrasso et Étienne de Suisy meurent pendant le concile et le cardinal Bérenger Frédol tombe gravement malade, sans toutefois succomber193. Malgré tout, la majorité des prélats s'en tiennent à leur conviction que les Templiers doivent pouvoir se défendre, ce qui irrite Clément V et Philippe IV le Bel194. Le roi, voulant en finir avec l'ordre du Temple et se rendant compte que le pape perd le contrôle, a recours une nouvelle fois à l'intimidation195. Le 30 décembre 1311, il convoque les états généraux pour le 10 février à Lyon, non loin de Vienne195. Consécutivement, une ambassade est envoyée par Philippe le Bel le 17 février pour s'entretenir avec le pape195. Les membres qui la composent, à savoir Louis d'Évreux, les comtes de Saint-Pol et Plaisians, Enguerrand de MarignyGuillaume de Nogaret et Guillaume de Plaisians vont s'entretenir avec Clément V douze jours durant195. Ils retournent ensuite auprès du roi le 29 février à Mâcon195. Le 2 mars, le roi envoie une lettre au pape, sous forme d'ultimatum, dans laquelle il exhorte Clément V à supprimer l'Ordre et transférer ses biens dans un nouvel ordre ou à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, laissant la décision au saint-père196Enguerrand de Marigny retourne seul au concile le 7 mars avec pour but, sans doute, de parvenir à un accord195. Clément V répond au roi le lendemain de manière plutôt vague, se contentant de préciser que si l'Ordre était supprimé, ses biens seraient dévolus à la Terre sainte196.

 

Les ambassadeurs d'Aragon, qui suivent les événements de près, estiment qu'il est temps de faire valoir la position de leur roi196. Ils expriment donc devant le concile la position de Jacques II d'Aragon, qui estime que les biens de l'Ordre ne doivent pas revenir aux Hospitaliers dans son royaume, mais plutôt à l'ordre de Calatrava196. Ces dons ont été faits par ces ancêtres pour défendre l'Église des sarrasins d'Espagne. Il ne peut donc autoriser à ce qu'ils soient dévolus pour autre chose197. Au début du mois de mars, au point tournant du concile, les aragonais prennent donc part aux négociations avec Clément V, Enguerrand de Marigny et les prieurs de l'Hôpital en France et en Auvergne197.

 

La pression se fait de plus en plus forte sur le pape. Le 20 mars 1312, alors qu'il déclare ne pas savoir s'il supprime ou maintient l'ordre, un événement lui force la main le jour même197. Philippe IV le Bel, accompagné de ses trois fils et deux frères, Charles de Valois et Louis d'Évreux, arrive à Vienne à la tête d'une grande armée198,197. Le 22 mars 1312, Clément V tient un consistoire secret auquel assistent les membres de la commission spéciale et quelques cardinaux197. Sans doute intimidés et résignés, les quatre-cinquième des membres votent pour la suppression de l'Ordre197. Seul l'évêque de Valence, Ramón Despont, proteste contre cette décision qu'il qualifie de « contraire à la raison et à la justice »197. Le même jour, Clément V fulmine la bulle Vox in excelso qui officialise la suppression de l'ordre du Temple198,199.

 

La décision est rendue publique le 4 avril 1312 devant le concile, réuni en session solennelle199. Philippe IV le Bel est assis à droite de Clément V, le futur Louis X se tenant à sa gauche199. Un avertissement est fait à l'endroit de ceux qui voudraient intervenir pendant l'annonce du jugement sans y avoir été invité par le pape199. Ensuite, la bulle Vox in excelso est proclamée199:

 

 

Le pape ajoute qu'il considère toute ingérence ultérieure en cette affaire comme « fâcheuse et vaine »200. Clément V a réussi, en étouffant le concile, à supprimer l'ordre du Temple, sans toutefois le condamner201. La chrétienté occidentale n'est pourtant pas dupe. Même si beaucoup de gens croient en la culpabilité de l'ordre, de nombreux observateurs, en majorité hors du royaume de France, sont choqués par les méthodes employées par Clément V ainsi que par les pressions qu'il subit du gouvernement201.

 

 
Bulle papale Ad providam

 

Si le sort de l'ordre est réglé, le pape doit encore résoudre le problème du sort des biens de l'Ordre et de ses membres202. En cela, le concile ne lui facilite pas la tâche car les prélats sont ouvertement contre la création d'un nouvel ordre ainsi que le transfert des biens à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem202. Les conseillers du roi sont également contre ce transfert, à l'exception de Charles de Valois et d'Enguerrand de Marigny201. Comme il semble que ceux-ci parviennent à convaincre Philippe le Bel qu'il s'agit de la meilleure solution, le pape se sent en position de force pour, une fois de plus, imposer sa vision au concile201. Le 2 mai 1312, Clément V fulmine la bulle Ad providam léguant les biens du Temple en totalité à l'ordre de l'Hôpital, à l'exception de la péninsule ibérique, pour laquelle une décision reste à prendre203,204.

 

Le 6 mai 1312, Clément V fulmine la bulle Considerantes dudum qui, quant à elle, détermine le sort des hommes5,205. Ceux ayant avoué ou ayant été déclarés innocents se voient attribuer une rente et peuvent vivre dans une maison de l'Ordre ou un monastèreNote 14 alors que tous ceux ayant nié ou s'étant rétractés, doivent subir le droit canon dans toute sa rigueur206. Les fugitifs ont un an pour se présenter devant le concile provincial compétent, sans quoi ils seront déclarés hérétiques206. Finalement, Clément V se réserve le sort des dignitaires de l'ordre du Temple205.

 

Le sort des dignitaires[modifier | modifier le code]

 

 
Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay sur le bûcher, enluminure provenant des Grandes Chroniques de France

 

Clément V est très lent à se décider à prononcer un jugement concernant les dignitaires de l'Ordre, alors que ces derniers fondent leurs espoirs depuis un long moment sur une décision papale207. Il faut attendre le 22 décembre 1313 pour voir une commission pontificale nommée afin de régler cette affaire208,207. Elle est constituée des trois cardinaux Nicolas Caignet de FréauvilleArnaud d'Aux de Lescout et Arnaud Novel207. Le 11 ou 18 mars 1314, ces cardinaux convoquent un concile à Paris en présence de l'archevêque de Sens Philippe de Marigny, de nombreux prélats et de docteurs en théologie et en droit canon6,207. On amène devant eux Jacques de MolayGeoffroy de CharnayHugues de Pairaud et Geoffroy de Gonneville207. Voici la description qu'en fait Guillaume de Nangis, dans sa chronique latine209:

 

 

Sur le moment, la réaction inattendue de Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay prend les cardinaux de court. Guillaume de Nangis ajoute209:

 

 

La décision royale a été si rapide que l'on s'aperçoit après coup que l'île des JaviauxNote 15 où l'on a dressé le bûcher ne se trouve pas sous la juridiction royale, mais sous celle des moines de Saint-Germain-des-Prés210. Le roi leur confirme donc par écrit que l'exécution ne porte nullement atteinte à leurs droits sur l'île210.

 

Le sort des biens de l'ordre[modifier | modifier le code]

 

 

 

 

Tel que le pape l'a décidé dans sa bulle Ad providam, les biens du Temple sont alloués à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, à l'exception de la péninsule ibérique. Le 21 mars 1313, le prieur de l'Hôpital accepte, au nom de son maître Foulques de Villaret, de payer au trésor royal français la somme de 200 000 livres tournois, à titre de compensation des pertes prétendument encourues par la Couronne dans les années précédant le procès204. Le règlement doit s'effectuer par tiers, payables dans les trois années à venir, « et ensuite ledit ordre [...] demeurera quitte à perpétuité et complètement libéré »211. Malgré ceci, les Hospitaliers éprouvent des difficultés à prendre possession des terres et, lorsqu'ils tentent de prendre des mesures, Philippe IV le Bel et son gouvernement réagissent agressivement, prétextant que l'ordre de l'Hôpital s'immisce dans leurs affaires211. Il faut une intervention de Clément V pour apaiser les esprits211.

 

La mort de Philippe IV le Bel le 29 novembre 1314 ne freine pas les intentions du gouvernement français211. Le 14 février 1316, en dépit de l'accord passé trois ans plus tôt, les Hospitaliers sont obligés de faire de nouvelles propositions à la suite des plaintes des hommes du roi qui affirment que des sommes restent dues sur les propriétés du Temple212. Malgré les 200 000 livres tournois déjà versées, ainsi que 60 000 autres à titre de remboursement des frais occasionnés par le procès, l'ordre de l'Hôpital propose d'abandonner tous les biens passés à l'usage du gouvernement depuis la proscription du Temple en France, d'annuler les dettes de la famille royale en France envers le Temple, et d'offrir quittance pour tout ce que les administrateurs royaux avaient saisi depuis l'arrestation, pour les deux tiers des arrérages des fermages encore à percevoir, et pour les biens meubles et chapelles que détiennent les gens du roi depuis ce temps212Philippe V le Long accepte ces propositions par un arrêt du Parlement le 11 octobre 1317212. Il semble que l'ordre de l'Hôpital arrive à se libérer de l'emprise royale le 6 mars 1318 par un versement de 50 000 livres tournois payables en trois ans pour solde de tout compte212.

 

Si la dévolution des biens du Temple enrichit l'ordre de l'Hôpital, les règlements que lui impose le gouvernement français le mettent en difficulté financière à court terme212. Lorsque Enguerrand de Marigny a soutenu la possibilité de transfert des biens aux Hospitaliers pendant le concile de Vienne, il avait certainement calculé le bénéfice à en retirer et, surtout, l'avantage occasionné plutôt que la création d'un nouvel Ordre qui aurait coûté plus cher212. Les compensations obtenues permettent de renflouer les coffres royaux et de remédier aux ennuis financiers chroniques de la Couronne212.

 

Une décision reste à prendre concernant les biens du Temple dans les royaumes d'Aragon, de Majorque, de CastilleLeón et du Portugal. À cet effet, Clément V prie les représentants des royaumes concernés de venir à Avignon en février 1313 afin de régler la question213Jacques II d'Aragon envoie trois négociateurs avec des instructions précises, qui ont surtout pour but d'empêcher que les biens templiers dans son royaume soient alloués aux Hospitaliers213. Le roi craint que, si les Hospitaliers ne lui sont pas fidèles, leur puissance puisse poser de gros problèmes213. La résistance des Templiers lors de leur arrestation a donné un exemple à Jacques II de ce qui pourrait éventuellement se produire213. Aussi, le roi estime que, puisque les dons au Temple ont été faits par lui et ses prédécesseurs, « il ne pourrait être raisonnable [de les] confier à d'autres personnes sans la volonté et l'assentiment du roi »214. Jacques II n'agit pas par avarice « car il ne désire rien garder desdits biens. En fait, il est prêt à faire des offres par lui-même »214. Toutefois, si le transfert des biens templiers à l'Hôpital est inévitable, Jacques II pose des conditions: il garderait les forteresses, tous les anciens templiers devraient lui jurer fidélité, l'Hôpital ne pourrait acquérir plus de biens que ce que le Temple possédait et les biens des Templiers à Valence seraient attribués à une nouvelle branche de l'ordre de Calatrava214.

 

Les négociateurs de Jacques II, dont l'avis est pourtant partagé par le cardinal Bérenger Frédol, se heurtent à l'opposition du pape214. Le roi d'Aragon maintient sa position et demande à ses émissaires de faire connaître publiquement son désaccord215. Les discussions piétinent et le dossier n'est toujours pas réglé à la mort de Clément V le 20 avril 1314215. Peu de temps avant le décès du pape, lorsque la maladie qui l'affecte est connue, Jacques II interdit à ses émissaires de poursuivre les négociations de peur que le pape prenne une décision défavorable215. Tel qu'espéré par le roi, un compromis est trouvé avec le successeur de Clément V, Jean XXII, le 10 juin 1317216. Un nouvel ordre, implanté à Montesa, soumis à l'observance de l'ordre de Calatrava et dirigé par son maître Garci López de Padilla, reçoit les biens du Temple dans cette région216. Les biens en Aragon et en Catalogne sont attribués à l'Hôpital sous condition que le châtelain hospitalier d'Amposta vienne faire hommage au roi à son entrée en fonction216.

 

Tous les souverains de la péninsule ibérique sont restés en contact pendant la période du procès, ce qui explique une certaine concordance dans leurs visions. Ainsi, Ferdinand IV de Castille s'assure également des biens du Temple dans son royaume216. En juillet 1308, il annonce prématurément la suppression de l'ordre avant de procéder à la saisie des biens du Temple216. Des actes de vente, datés de 1309 et 1312, indiquent que le roi en vend une partie à l'ordre d'Alcántara216. Sa mort en 1312 plonge cependant son royaume dans l'anarchie et son successeur, Alphonse XI, ne dispose pas du même poids que Jacques II d'Aragon afin de parvenir à ses fins216. La Couronne castillane et les hauts seigneurs s'emparent de quelques terres et les ordres de Santiago et Calatrava en reçoivent une petite part216. En principe, selon la bulle papale, les biens du Temple auraient dû être reversés à l'Hôpital. Les usurpations vont obliger ce dernier à entamer des négociations avec des particuliers pendant parfois plusieurs décennies216. En 1331, Alphonse XI réclame la création d'un nouvel ordre mais le pape Jean XXII répond qu'il est trop tard216. En 1366, le pape Urbain V se plaint que les souverains castillans n'ont pas rempli leurs obligations envers l'Hôpital217. Le roi Denis Ier prend soin d'être représenté à la Curie pontificale et c'est ce qui explique qu'en mars 1319, les portugais obtiennent le droit de fonder l'ordre du Christ , pourvu des biens du Temple dans le royaume de Portugal203,217. Le roi Sanche de Majorque, également hostile au transfert des biens du Temple à l'Hôpital, ne cède qu'après le versement d'une grosse somme et la cession de quelques biens meubles217.

 

La situation est plus compliquée en Angleterre, le roi Édouard II ayant déjà affermé certaines terres appartenant au Temple217. Il fait volte-face en mars 1312 en demandant au prieur de l'Hôpital de prendre possession de ces terres, estimant sans doute réparer une situation préjudiciable pour la Couronne217. Le 28 novembre 1313, le roi ordonne officiellement le transfert des biens du Temple à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem mais les barons ne sont pas prêts à lâcher prise217. Le pape Jean XXII envoie des légats en 1317 afin d'exiger la restitution des propriétés et, en 1322, il écrit au roi pour attirer son attention sur les accapareurs de terres templières217. Édouard II ordonne aux gardiens royaux de plusieurs comtés, pendant l'été 1324, de permettre aux shériffs de rendre les terres du Temple218. Le transfert des biens se fait très lentement et les Hospitaliers se font plus pressants. En ajout aux mesures papales, des pots-de-vin sont distribués comme la cession de trois domaines au roi en 1324 rapportant quatre cent trente-deux livres par an218. Toutes ces mesures n'ont cependant pas d'effet immédiat et, en 1338, un état des biens montre que de nombreuses possessions échappent encore à l'Hôpital218. Lorsque celles-ci sont finalement restituées, la majorité doit être reconstruite car dégradée, voire détruite, par les seigneurs féodaux219.

 

En ce qui concerne l'Allemagne et l'Italie, le sort des biens varie selon les circonstances politiques219. Vers l'automne 1317, l'Hôpital a déjà en sa possession les biens du Temple dans les diocèses de MagdebourgHalberstadt et dans le royaume de Bohême205. En revanche, il faut expulser les templiers à Hildesheim et en Allemagne du Sud. Enfin, des dirigeants locaux, tels que le duc de Lorraine et le margrave de Brandebourg, s'emparent de certains biens avant de les céder finalement aux Hospitaliers205. En Italie, il faut attendre 1319 pour voir le pape forcer le roi de Naples à restituer les biens du Temple et la même situation se produit en Italie du Sud205. La situation à Chypre est réglée assez rapidement dès novembre 1313, sans doute dû aux impératifs de la croisade205.

 

Le transfert des biens à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem ne s'est pas fait sans difficultés et a mis les finances des Hospitaliers à rude épreuve, d'autant plus que ceci coïncide avec la consolidation de leur position dans l'île de Rhodes205. Cependant, l'essentiel des biens du Temple sont recouvrés dans les dix années qui suivent le concile de Vienne, ce qui peut représenter un délai assez court en raison de la complexité de la situation205.

 

Conclusion[modifier | modifier le code]

 

Selon les termes de Julien Théry, repris par Alain Demurger dans son étude récente,

 

 

Le déroulement du procès hors du royaume de France démontre clairement la volonté de Philippe IV le Bel à obtenir par tous les moyens la suppression de l'ordre du Temple184. Si on s'attarde sur des événements plus proches de nous, il apparaît évident qu'un État possède la capacité de nuire à une organisation ou à un groupe d'individus, s'assurant même une adhésion de la population à la vision du gouvernement221. Il semble établi que c'est ce qui s'est produit dans ce cas-ci car il est difficile de prétendre que les templiers soient coupables de ce dont le pouvoir royal les accuse221. On peut surtout trouver dans cette affaire la preuve de l'efficacité de la torture sur la résistance morale et physique du commun des mortels221. Un lien peut être également établi entre les aveux et la torture lorsque l'on compare les résultats des interrogatoires entre le royaume de France et le royaume d'Angleterre, d'autant plus que les deux pays sont similaires sous bien des aspects à cette époque221.

 

Les charges reprochées aux templiers permettent également d'avoir un sérieux doute sur leur culpabilité, celles-ci étant typiques des accusations d'hérésie souvent employées à cette époque222. L'objectif est de jouer sur les craintes profondes de la population, se focalisant sur un individu ou un groupe en particulier, tel que les juifs222. Il est aussi à noter qu'aucun templier ne s'est montré prêt à mourir pour les faits qu'on leur reprochaient, contrairement aux hérétiques des xiie – xive siècles222. Nombre d'entre eux sont plutôt morts en clamant leur innocence, tels que Jacques de Molay222.

 

Développements subséquents[modifier | modifier le code]

 

 
Le parchemin de Chinon.

 

 

L'original du parchemin de Chinon, perdu dans les archives secrètes du Vatican depuis le xviie siècle (mais dont on connaissait le texte par une copie), a été retrouvé en 2002 par l'historienne Barbara Frale et publié en 2007 avec l'ensemble des documents relatifs au procès qui sont conservés dans ces archives Note 16. Il indique que le pape Clément V a finalement absous secrètement les dirigeants de l'Ordre au plan sacramentel223. Non, là aussi les dignitaires qui ont été brûlés l'ont été parce qu'ils sont revenus sur leurs aveux, non pour ceux-ci : les quatre ont avoué, les quatre ont été absous, mais seuls les deux qui ont renié leurs aveux ont été exécutés.

 

 

 

Notes et références[modifier | modifier le code]

 

Notes[modifier | modifier le code]

 

  1.  Selon Julien Théry, le choix de ce jour a un sens mystique, puisque les accusations avancées par les conseillers royaux consistaient pour la plupart en offenses directes ou indirectes au Christ. Selon eux, les templiers "crucifiaient de nouveau Notre Seigneur", et le légiste Guillaume de Plaisians affirma en 1308 devant le pape que l'arrestation des "perfides templiers" par le roi de France était "la plus grande victoire remportée par le Christ depuis sa mort sur la Croix" - Julien Théry, « Une hérésie d’État. Philippe le Bel, le procès des ‘perfides templiers’ et la pontificalisation de la royauté française » », dans Les templiers dans l’Aube, Troyes, La Vie en Champagne, 2013, p. 201-202 lire en ligne [archive].
  2.  En 1252, le pape Innocent IV avait fulminé la bulle Ad extirpanda, celle-ci établissant la norme pour les procédures inquisitoriales, dont l'usage de la torture, imposant néanmoins des limites à son utilisation contre les hérétiques par les autorités civiles ou ecclésiastiques et interdisant le recours à toute torture risquant d'entraîner la mort ou la mutilation de l'accusé. Traduction du texte d’Ad extirpanda dans Patrick Gilli et Julien Théry, Le gouvernement pontifical et l'Italie des villes au temps de la théocratie (fin xiie siècle-mi-xive siècle), Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2010, p. 567-586.
  3. ↑ Revenir plus haut en :a et b Comptage fait par Edward J. Martin, à partir des interrogatoires parisiens publiés dans le procès des Templiers, t. I & II par Michelet, repris par Alain Demurger dans son ouvrage.
  4.  Voir le procès-verbal de l'enquête faite par Raymond Costa [archive], évêque d'Elne, commissaire apostolique, à la requête de Gilles Aycelin, archevêque de Narbonne.
  5.  Olivier de Penne selon l'opinion d'Heinrich Finke41, cité par Malcom Barber mais Elena Bellomo pense qu'il y a une confusion avec Giacomo da Montecucco, dernier maître de la province de Lombardie42.
  6.  La date de début précise des commissions diocésaines n'est pas connue, ainsi que le contenu des interrogatoires, car peu de procès-verbaux ont subsisté. On fait cependant mention de soixante-huit templiers interrogés par l’évêque de Clermont entre le 4 et le 10 juin 1309, ainsi que l'interrogatoire de Guillaume d'Arrablay, commandeur de Choisy-le-Temple, qui laisse entendre que son interrogatoire avait eu lieu au printemps 1309, soit treize mois avant sa comparution devant le concile de Sens de mai 1310.
  7.  Tel qu'énoncé dans les instructions envoyées dans son diocèse par Guillaume de Baufetévêque de Paris.
  8.  Guillaume de Plaisians et Guillaume de Nogaret, bien que ne faisant pas partie des membres de la commission, s'invitent régulièrement aux débats, rendant caduc le secret des délibérations et maintenant la pression sur les templiers rien que par leurs présences.
  9.  Renaud de Provins comparaîtra le 5 mars 1311 devant la commission avec cinq autres templiers, comme simple témoin, alors qu'il a été auparavant condamné à la prison à vie par le concile de Sens.
  10.  Cette suggestion est d'ailleurs appuyée par Clément V dans une lettre qu'il envoie au roi d'Angleterre le 23 décembre 1310, dans laquelle il promet à Édouard II la rémission de ses péchés et l'éternelle miséricorde de Dieu.
  11.  Brian de Jay, avant-dernier maître de la province d'Angleterre, est mort en 1298 au cours de la bataille de Falkirk, remportée par les troupes du roi sur William Wallace.
  12.  Il y mourra d'ailleurs vers le mois de février 1313, en attente de la sentence pontificale.
  13.  La forteresse de Monzón disposait d'un revenu de 40 000 à 50 000 sous par an, sans compter la dîme du vin, du blé et de la viande.
  14.  Parmi les frères pensionnés, on peut citer l'exemple du commandeur du Mas DeuRamón Sa Guardia, qui est autorisé à vivre dans son ancienne commanderie. On lui attribue en outre une rente annuelle de trois cent cinquante livres, prélevée sur les biens de la commanderie, afin qu'il puisse subvenir aux besoins de ses compagnons.
  15.  L’île aux Juifs, aussi nommée Île des Javiaux, ensuite appelée île des Templiers, est une île dans Paris sur la Seine qui était juste à l’ouest de l’île de la Cité. Elle a été ensuite, avec deux autres petites îles à côté, rattachée à l'île de la Cité.
  16.  Actes du procès des templiers : publication [archive] ROME, jeudi 4 octobre 2007 (ZENIT.org) – Les Archives secrètes du Vatican publient les actes du procès contre les templiers : une publication qui sera présentée à la presse le 25 octobre… Il s’agit d’une édition originale des Actes du procès, reproduisant les pièces originales. Cette édition sera limitée à 799 exemplaires… Elle s’inscrit dans la série des Exemplaria Praetiosa, reproduisant fidèlement les documents les plus rares des archives secrètes du Vatican.

 

Mis en page le 20  novembre 2021