Templiers vikings et catédrales  partie 3

 

 

La fin de la lutte[modifier | modifier le code]

 

L'arrestation a eu lieu en octobre 1307 et l'affaire n'est toujours pas réglée en mai 1310. Philippe le Bel perd patience et compte provoquer une crise105. Comme le pape avait précisé que les évêques pouvaient convoquer des conciles pour décider du sort des frères après les avoir entendu (seul l'ordre serait jugé lors du concile de Vienne), le roi veut user de son pouvoir parmi les commissions diocésaines et en particulier de l'appui de l'archevêque de SensPhilippe de Marigny. Philippe est le frère d'Enguerrand de Marignychambellan et ministre du roi, et a été élu grâce aux pressions exercés par le roi auprès de Clément V119. L'objectif du gouvernement est de casser la défense en la privant de ses éléments les plus solides et également de faire régner la peur afin d'éviter que de nouveaux volontaires se présentent pour défendre de l'ordre. Philippe de Marigny convoque donc un concile à Paris pour juger les templiers dépendant de la province de Sens105.

 

Les quatre représentants de l'ordre, conscients de la menace, demandent à rencontrer les commissaires d'urgence le 10 mai 1310 alors que la commission ne siège pas, vu que c'est dimanche105Pierre de Bologne rappelle aux commissaires que nombre de templiers se sont proposés pour la défense de l'ordre et il craint que la procédure lancée par Philippe de Marigny ne les contraignent à renoncer120. Consécutivement, il lit un appel devant la commission, exposant que l'archevêque de Sens et les autres prélats ne pouvaient lancer de poursuites contre les templiers tant et aussi longtemps que la commission pontificale entendrait des témoins120. S'ils maintenaient ces poursuites, ce serait contraire à « Dieu et à la justice, et bouleverserait l'enquête »120. Finalement, il fait appel au Saint-Siège afin que les templiers soient mis sous la protection du pape et aussi qu'un ou deux notaires de la commission les accompagne devant l'archevêque de Sens afin de faire appel contre lui120.

 

L'archevêque de Narbonne Gilles Aycelin, président de la commission pontificale, se trouve dans une position embarrassante. Issu d'une famille très liée à l'Église, il est également juriste et lié étroitement au gouvernement depuis 1288, année où il commence son service auprès du roi121. Étant membre du conseil royal, il ne peut qu'être au courant de la volonté de Philippe le Bel d'en finir avec cette affaire. Préférant donc se tenir à l'écart, il répond à Pierre de Bologne qu'il ne peut débattre de la situation car il doit aller « célébrer ou entendre la messe »121. Les commissaires restants, après s'être consultés, déclarent qu'ils répondront à cette demande après les vêpres « pour autant qu'ils le pouvaient et que ces choses leur revenaient »121. Le soir venu, ils répondent que l'action entreprise par Philippe de Marigny ne dépend pas de leur commission et qu'ils ne peuvent donc pas répondre favorablement à la requête présentée par la défense122.

 

 
Reconstitution des fortifications orientales de Paris en 1420 : de gauche à droite les fossés enjambés par les ponts (avec ponts-levis), la Bastille et la porte Saint-Antoine fortifiée.

 

 
Frères Templiers sur le bûcher, manuscrit anonyme, 1384.

 

Le lendemain, soit le 11 mai 1310, la commission reprend l'audition des témoins malgré l'absence de son président, l'archevêque de Narbonne122. Le jour suivant, les commissaires apprennent, pendant une pause des travaux, que cinquante-quatre templiers doivent être brûlés plus tard dans la journée122. Ce fait les force à agir pour conserver un tant soit peu de crédibilité à la procédure en cours et également pour s'opposer contre cette manœuvre d'intimidation122. Ils envoient donc Philippe de Voët et l'archidiacre d'Orléans, Amisius, demander à Philippe de Marigny de surseoir à cette décision. Cette tentative se solde par un échec et les cinquante-quatre templiers, mis dans des charrettes, sont emmenés dans un champ près de la porte Saint-Antoine pour y être brûlés vifs123. D'autres templiers qui avaient refusé d'avouer devant le concile provincial, ne pouvant donc passer pour relaps, sont condamnés à la prison à vie. Ceux qui confirment leurs aveux sont réconciliés avec l'Église et libérés123. Quelques jours plus tard, quatre autres frères meurent sur le bûcher et les ossements du trésorier du Temple Jean de Tour sont exhumés et brûlés. Ensuite, ce sont neuf templiers qui subissent le même sort à Senlis, sur ordre du concile provincial de Reims123. Il est fait ensuite mention, dans des dépositions, de huit templiers brûlés à Paris. Cependant, il est impossible de savoir précisément le nombre de frères suppliciés123.

 

Ainsi que le roi l'espérait en agissant de la sorte, les exécutions portent un coup décisif à la défense de l'ordre. Dès lors, la terreur règne parmi les templiers, particulièrement ceux qui comparaissent devant la commission car ils craignent de subir le même sort que leurs frères suppliciés124. Les commissaires suspendent les auditions des témoins, les reprenant cinq jours plus tard, le 18 mai 1310125. Le jour venu, en présence de Gilles Aycelin, la commission s'aperçoit que Philippe de Marigny a profité de l'interruption des auditions pour convoquer Renaud de Provins devant son concile vu que ce dernier dépend de la province de Sens126. Les commissaires envoient de nouveau Philippe de Voët et Amisius mais cette fois-ci avec une mise en garde. Ils sont chargés de dire à l'archevêque de Sens que Renaud de Provins avait reçu l'ordre d'assister aux auditions de témoins de la commission pontificale, et qu'ainsi il était censé pouvoir se présenter devant la commission librement, sous « pleine et sûre garde »126. Renaud de Provins, libéré par le concile, se présente ensuite devant la commission avec Guillaume de Chambonnet et Bertrand de Sartiges. Cependant, Pierre de Bologne a disparu127. Les trois autres représentants de l'ordre, troublés par les événements des derniers jours, demandent à la commission de faire amener Pierre de Bologne car ils ont besoin de son aide pour la défense de l'ordre127. Les commissaires chargent Philippe de Voët et Jean de Janville de le ramener. Le lendemain matin, alors que Pierre de Bologne est toujours absent, quarante-quatre templiers qui s'étaient initialement portés volontaires pour défendre l'ordre se présentent et déclarent qu'ils renoncent à le faire127. Le 30 mai 1310, La commission suspend finalement les travaux jusqu'en novembre 1310 pour « diverses raisons »128.

 

Le 3 novembre 1310, seuls trois commissaires sont présents dans l'abbaye Sainte-Geneviève : l'évêque de Mende Guillaume VI Durand, le notaire apostolique Mathieu de Naples et l'archidiacre de Trente Jean de Mantoue128. Sans grand enthousiasme, ils demandent si quelqu'un souhaite assumer la défense de l'ordre et suspendent la séance jusqu'à être assez nombreux pour assurer correctement la suite des travaux de la commission pontificale128. Finalement, le 17 décembre 1310, cinq commissaires sont présents et les travaux reprennent. Toutefois, des quatre représentants de la défense, seuls Guillaume de Chambonnet et Bertrand de Sartiges sont présents car il n'y a toujours aucune nouvelle de Pierre de Bologne. De plus, Renaud de Provins est à son tour absent128. Les deux chevaliers, se présentant comme des laïcs illettrés, requièrent l'aide des deux représentants manquants. La réponse qui leur est faite est qu' « ils avaient solennellement et librement renoncé à la défense de l'ordre et en étaient revenus aux premiers aveux faits par eux » après quoi Pierre de Bologne se serait évadé de prison et enfui128. À partir de ce moment, plus aucune mention n'est faite de lui dans les écrits du procès. Il est possible qu'il ait été assassiné par ses geôliers128. À propos de Renaud de Provins, les commissaires disent qu'ils n'auraient pu de toute manière le laisser continuer à défendre l'ordre vu que le concile de Sens venait de le déposséder de sa prêtrise128,Note 9. Enfin, ils déclarent qu'ils sont donc prêts à entendre les deux représentants restants et à les autoriser à assister aux audiences. Les deux chevaliers ont cependant perdu toute volonté et courage de continuer la défense sans leurs deux frères et, cela dit, quittent la salle d'audience129.

 

À partir de ce moment, la défense de l'ordre est presque réduite à néant. La commission continue ses travaux jusqu'en juin 1311 mais peu de témoins oseront se présenter pour assurer la défense129, ce qui représente un revirement total par rapport à la situation de fin mars 1310 :

 

Mars 1310 - Situation après la réunion tenue dans le jardin de l'évêché129
Prêts à défendre l'ordre 597
Ne prennent pas parti 12
Refusent de défendre l'ordre 15

 

Novembre 1310 à Juin 1311 - Bilan des 212 témoignages129
Avouent quelques fautes 198
Persistent à affirmer l'innocence de l'ordre 14
Connus pour avoir auparavant offert de défendre l'ordre 87

 

Les conciles provinciaux continuent après les premières exécutions et parallèlement à la troisième session de la commission pontificale. Les Templiers, effrayés, se préoccupent plus de leur propre défense devant les conciles de Reims ou Sens plutôt que de celle de l'ordre devant la commission130. Ainsi, lorsqu'ils sont amenés devant les commissaires afin de témoigner dans la procédure visant l'Ordre, la grande majorité confirment leurs aveux réitérés devant les conciles provinciaux131, tout en exhortant la commission de ne pas subir de préjudice à cause de ce qu'ils disent132. Les cent quatre-vingt-dix-huit confessions sont centrées essentiellement sur le reniement du Christ, le crachat sur la croix, les baisers obscènes, l'encouragement des pratiques homosexuelles et, dans une moindre mesure, l'adoration d'une idole131. Seulement quatorze templiers persistent dans leur volonté de défendre l'ordre et se plaignent d'ailleurs des pressions dont ils sont victimes133. Les agents royaux les surveillent étroitement et ces pressions ont bientôt raison de leur volonté134. En effet, les derniers volontaires à défendre l'ordre reviennent sur leurs témoignages. Par exemple, trois d'entre eux, entendus le 22 mars 1311, reviennent sur leurs témoignages deux jours plus tard, prétendant avoir « menti par bêtise »135. L'attitude de plusieurs d'entre eux démontrent ensuite à quel point leurs geôliers ont de l'emprise sur leurs personnes et, aussi, la célérité avec laquelle les informations sur leurs témoignages, pourtant prétendument exprimés sous le sceau du secret, se rendent de la commission au pouvoir central136.

 

La commission pontificale, qui a pour objectif d'entendre les éventuels défenseurs de l'ordre, ne sert plus à grand-chose depuis le début de l'année 1311137. La plupart du temps, seuls trois commissaires sont présents. L'archevêque de Narbonne Gilles Aycelin est souvent absent. L'évêque de Bayeux Guillaume Bonnet ne participe plus depuis novembre 1310 car il a été envoyé en négociation à Avignon, au nom du roi, auprès de Clément V. Enfin, l'archidiacre de Maguelonne Jean de Montlaur a été dispensé sous prétexte de maladie137. Les trois dernières dépositions sont enregistrées le 26 mai 1311 et les commissaires écrivent à l'évêque de Bayeux pour demander au pape s'ils peuvent clore les auditions137Clément V accède à la demande. Guillaume Bonnet quitte Avignon et rejoint Philippe le Bel et Gilles Aycelin à Pontoise, où se tient un parlement138. La procédure est close à Paris par l'évêque de Limoges Raynaud de La Porte, l'évêque de Mende Guillaume VI Durand et l'archidiacre de Trente Jean de Mantoue138.

 

Le 5 juin 1311, les commissaires se rendent à Pontoise, s'entretiennent avec Philippe le Bel dans l’abbaye Notre-Dame-La-Royale et lui font le point de la situation138. Deux cent trente-et-un témoins ont été entendus par la commission, dont certains en Orient, et soixante-douze ont été entendus directement par Clément V et ses cardinaux138. Devant l'imminence du concile de Vienne, qui doit se tenir cinq mois plus tard, le pape et le roi veulent en finir rapidement. La procédure de la commission pontificale est officiellement close, en présence du comte Guy IV de Châtillon-Saint-Pol, de Guillaume de Plaisians, de Geoffroy du Plessis et des cinq notaires qui ont dressé le procès-verbal de l'enquête138. La commission aura siégé pendant cent soixante-et-un jours, répartis sur deux ans. Le dossier, composé de deux cent dix-neuf folios d'environ quarante lignes par page138, est produit en deux exemplaires. La première copie, scellée par les commissaires, est envoyée à Clément V par messagers spéciaux. La deuxième copie est déposée au trésor du monastère de Sainte-Marie à Paris. Cette copie ne pourra être consultée qu'en possession de lettres d'autorisation spéciales du pape138.

 

Le procès hors du royaume de France[modifier | modifier le code]

 

Angleterre, Écosse et Irlande[modifier | modifier le code]

 

 

 

Au moment de l'arrestation, le 13 octobre 1307, les actions menées se limitent pour le moment au royaume de France. Édouard II, roi depuis quatre mois seulement et toujours pas couronné, est jeune et sans expérience139. Il hérite d'un royaume en difficulté, en proie à de lourdes dettes à la suite des guerres contre la France et l'Écosse et doit également faire face au mécontentement des barons139. On pourrait s'attendre à ce que le roi d'Angleterre saisisse donc l'occasion de remporter un succès facile et de mettre la main sur les richesses de l'ordre en Angleterre, qui étaient importantes, même si les templiers disposaient de moins de biens que dans le royaume de France139. De plus, son action rencontrerait peu de résistance par le fait que l'ordre du Temple, riche en terres sur le sol anglais, y avait cependant des effectifs réduits139. Pourtant, lorsque Philippe le Bel essaye, dès le 16 octobre 1307, de rallier les autres souverains européens à sa cause en leur indiquant qu'il vient de procéder à l'arrestation des Templiers140, les accusations déposées sont accueillies avec scepticisme par Édouard II. Le roi de France insiste le 26 octobre en l'informant des confessions obtenues140 mais Édouard II, dans sa réponse du 30 octobre 1307, fait part de son étonnement à tel point qu'il exprime que les accusations semblent « plus qu'il n'est possible de croire »141. Toutefois, vu que les accusations semblent prendre leur source en Guyenne, Édouard II demande à Guillaume de Dène, son sénéchal à Agen, de venir lui faire un rapport142.

 

À la suite de ce rapport, Édouard II n'est toujours pas convaincu de la culpabilité de l'ordre. Le 4 décembre 1307, il envoie une lettre aux rois du Portugal, de Castille, d'Aragon et de Naples dans laquelle il défend l'ordre avec énergie142. Il y fait état de la visite d'un « certain clerc » (Bernard Pelet, envoyé par Philippe le Bel87), venu récemment devant lui, s'appliquer « avec un zèle total » à discréditer l'ordre du Temple en faisant état de « certains faits horribles et détestables, répugnant à la foi catholique »142. Selon lui, « une croyance toute prête » en des accusations inouïes « était à peine concevable »142. Il enjoint les autres rois à ne pas croire ces diffamateurs et de laisser tranquilles les templiers tant et aussi longtemps que leur culpabilité ne serait pas légalement avérée142. Le 10 décembre 1307, Édouard II écrit à Clément V. Il lui demande de n'agir qu'après que l'affaire lui sera présentée légalement et les faits clairement prouvés143. Il ne faut pas s'étonner outre-mesure de la réaction d'Édouard II, sachant que les relations entre l'ordre du Temple et la couronne anglaise sont très bonnes143. Les Templiers sont déjà venus financièrement au secours du pouvoir royal et ce à plusieurs reprises. De plus, Richard Cœur de Lion reçut de leur part un fort appui politique et militaire lors de la troisième croisade. Enfin, ce lien étroit s'illustra même jusqu'au souhait de Richard, qui fut exaucé, de voir un de ses vassaux angevins nommé à la tête de l'ordre: Robert IV de Sablé.

 

Si Édouard II n'a donc pas l'intention de répondre à l'appel de Philippe le Bel, il change d'avis le 14 décembre 1307, à la réception de la bulle Pastoralis preeminentie144. Le 26 décembre 1307, Édouard II répond que les questions concernant les templiers seraient réglées de « la plus rapide et meilleure façon » et il ordonne que les frères du Temple soient arrêtés le 10 janvier 1308145. Cependant, les arrestations se passent d'une toute autre manière que dans le royaume de France. De nombreux templiers sont autorisés à rester dans leurs commanderies respectives et certains même jusqu'à leur comparution devant la commission pontificale145. Le maître en Angleterre William de la More est arrêté le 9 janvier 1308 dans l'église du Temple à Londres145. Une pension, prélevée sur les biens de l'ordre, est versée aux Templiers détenus145. Édouard II par la suite demande que l'on garde les Templiers plus sévèrement, à la suite de quelques constats de désinvolture dans la garde de plusieurs frères de l'ordre145.

 

Deux inquisiteurs, l'abbé de Lagny Dieudonné, du diocèse de Paris, et le chanoine de Narbonne Sicard de Vaur arrivent en Angleterre le 13 septembre 1309145. Édouard II leur fournit aide et protection. Il ordonne également que les templiers soient envoyés à Londres, York et Lincoln pour être entendus par les inquisiteurs, assistés par l'archevêque d'York William Greenfield, l'évêque de Londres Ralph Baldock et l'évêque de Lincoln Jean d'Aldreby145. Le roi d'Angleterre ordonne également à son justicier en IrlandeJohn Wogan, que les templiers toujours en liberté soient détenus au château de Dublin. Il envoie des instructions similaires à son gouverneur en ÉcosseJohn Segrave146.

 

Entre le 20 octobre et le 18 novembre 1309, quarante-quatre Templiers sont interrogés dans l'église de la Sainte-Trinité de Londres mais aucun n'avoue146. Ceci contraste avec les aveux massifs obtenus dans le royaume de France qui use de l'inquisition comme d'un outil 147, alors que les souverains anglais s'appuient sur un système légal uniforme et applicable à tous les hommes du pays, dans lequel l'inquisition est, le plus souvent, exclue car représentative d'un pouvoir détenu par des papes étrangers147. Ceci représente donc un obstacle pour les deux inquisiteurs car la justice anglaise se base sur l'opinion de jurés locaux et n'emploie pas la torture147. Il leur apparaît donc impossible d'extorquer des aveux aux templiers dans de telles conditions147. Le concile de Cantorbéry se réunit à Londres le 24 novembre 1309 et les inquisiteurs comptent obtenir la possibilité d'utiliser la torture. Ils en font la demande à Édouard II le 9 décembre, qui leur répond le lendemain148. Il permet aux inquisiteurs « d'agir et de procéder contre les Templiers comme il convient à leur office, bien que rien ne doive être fait contre notre couronne ou l'état de notre royaume ». En termes plus clairs, il leur permet de recourir à la torture148.

 

La procédure reprend le 1er janvier 1310 mais les inquisiteurs ne rencontrent que peu de succès, malgré les pressions exercées sur les détenus148. Les frères entendus à York et Lincoln en avril et mai 1310 ne se montrent pas plus coopératifs148. Fin mai, un concile réuni à York décide de reporter le débat à l'année suivante148. Les preuves recueillies sont loin d'être convaincantes et les inquisiteurs le reconnaissent dans une lettre qu'ils envoient à l'archevêque de Cantorbéry, Robert Winchelsey, le 16 juin 1310149. Dans cette même lettre, ils se plaignent de ne trouver personne capable d'administrer convenablement la torture, conformément à la loi ecclésiastique, et demandent s'ils peuvent retourner à Avignon, laissant le soin aux prélats anglais de s'acquitter du reste149. Ils font cependant un certain nombre de recommandations pour rendre plus efficace l'usage de la torture, dont le plus radical serait d'envoyer tous les Templiers d'Angleterre outre-manche, dans le comté de Ponthieu. Ce territoire, appartenant à Édouard II mais n'étant pas soumis à la loi anglaise, permettrait d'employer les méthodes utilisées dans le royaume de France150,Note 10.

 

Le roi d'Angleterre s'efforce de faciliter le recours à la torture car, à plusieurs reprises, il ordonne de procéder « conformément à la loi ecclésiastique »150. Le 23 septembre 1310, le concile provincial de Canterbury décide que les templiers de Londres et Lincoln doivent être entendus séparément150. Cependant, les difficultés rencontrées par les inquisiteurs font qu'ils recourent fréquemment à des témoins extérieurs afin d'étayer les accusations151. Alors que seulement six des deux cent trente et une dépositions en France émanent de non-templiers, on en dénombre soixante en Angleterre, quarante et une en Irlande et quarante-neuf en Écosse, sachant en outre qu'il y a moins de dépositions dans ces pays151.

 

Les efforts déployés par les inquisiteurs ne mènent qu'à des résultats peu convaincants et le procès en Angleterre semble tourner court, faute d'aveux solides152. Cependant, début juin 1311, les hommes du roi capturent un fugitif à Salisbury, nommé Stephen de Stapebrugge. Lui et un autre Templier, Thomas de Thoroldeby, évadé de la prison de Lincoln, font des aveux équivalents à ceux déposés en France152. Le 23 juin 1311, devant les évêques de Londres et Chichester, Stephen de Stapebrugge, au fait qu'un templier du nom de Walter Bacheler serait « mort en prison dans les tortures »153, avoue avoir été reçu dans l'Ordre de deux manières. La première de manière honnête, contrairement à la deuxième, deux ans plus tard, présidée par le maître en Angleterre en personne, Brian de Jay152,Note 11. Trois jours plus tard, Thomas de Thoroldeby avoue qu'il s'était enfui « par peur de la mort » car, alors qu'il avait déjà comparu une première fois et nié toutes les accusations, l'inquisiteur qui l'interrogeait, l'abbé de Lagny, lui aurait juré « qu'il ferait ses aveux avant de lui échapper des mains »153. Ensuite, il explique sa réception dans l'ordre et sa description ressemble à celle faite par Stephen de Stapebrugge154. Un troisième témoin, le chapelain John de Stoke, qui avait lui aussi nié les accusations dans un premier temps, fait des aveux partiels le 1er juillet 1311155. Un an après sa réception dans l'ordre, il a été reçu une deuxième fois, en présence de Jacques de Molay en personne155. Les aveux effectués par les trois templiers sur leurs réceptions illicites comprennent notamment le reniement du Christ.

 

Le concile de Canterbury se réunit à Saint-Paul de Londres. Stephen de Stapebrugge et Thomas de Thoroldeby comparaissent le 27 juin 1311 pour abjurer publiquement leurs erreurs155. À la suite de cela, l'archevêque de Cantorbéry réconcilie solennellement les pénitents et demande à l'évêque de Chichester, John Langton, de les absoudre155. John de Stoke est réconcilié et absous le 3 juillet 1311155. Entre le 9 juillet et le 13 juillet 1311, cinquante-sept Templiers comparaissent devant le concile et ceux qui avaient confessé des hérésies, telle que la croyance en l'absolution laïque, les abjurent156. Ceux qui n'ont rien avoué se déclarent si bien diffamés par ce qui a été avoué par d'autres qu'ils ne pensent pouvoir jamais s'en laver156. Ils sont donc envoyés dans plusieurs monastères pour y faire pénitence156. Deux exceptions sont cependant à noter : le maître en Angleterre William de la More et le commandeur d'Auvergne Humbert Blanc156. William de la More, après s'être entretenu avec l'archevêque de Cantorbéry le 31 juillet 1311, se présente le 5 septembre devant l'évêque de Chichester et nie toutes les accusations156. Il est donc renvoyé en prison, à la tour de Londres156,Note 12. Humbert Blanc montre la même détermination à nier malgré les interrogatoires répétés sur les admissions dans l'ordre qu'il présidait à Clermont156. Conséquemment, « il fut ordonné qu'il soit enfermé dans la plus mauvaise prison, mis en doubles fers pour y être gardé jusqu'à nouvel ordre et qu'on lui rende visite entre-temps pour voir s'il ne voulait rien confesser de plus »156. Le 29 juillet, au concile de la province du Nord à York, vingt-quatre templiers sont réconciliés après qu'ils se sont déclarés si durement diffamés qu'il leur était impossible de s'en laver156.

 

Les résultats de la procédure en Écosse et en Irlande sont quasi nuls. Seuls deux Templiers sont interrogés en Écosse par l'évêque de Saint Andrews William Lamberton le 17 novembre 1309 et ils n'avouent rien, à part les absolutions laïques157. Quatorze Templiers sont interrogés en Irlande, parfois à plusieurs reprises, et seuls six font mention des absolutions laïques et trois de l'enrichissement de l'ordre à tort ou à raison157.

 

Aragon et Majorque[modifier | modifier le code]

 

 

 

Jacques II d'Aragon ne se montre pas plus enthousiaste qu'Édouard II d'Angleterre158. Lorsque Philippe le Bel lui envoie deux lettres les 16 octobre et 26 octobre 1307 afin de l'exhorter à le rejoindre dans sa lutte contre l'ordre du Temple, Jacques II n'envoie une réponse qu'un mois plus tard, dans laquelle il défend l'ordre, le 17 novembre 1307140. L'ordre jouit d'une grande réputation dans cette partie de la chrétienté car il participe activement à la lutte contre les « infidèles » pendant la Reconquista158. À cet effet, les Templiers se sont vus confier plus de soixante-dix châteaux forts158. Il précise en outre qu'il n'interviendra que si l'Église le lui commande et si l'Ordre s'avère fortement suspect158. Dans cette optique, Jacques II écrit à Clément V le 19 novembre 1307 afin de lui indiquer qu'il n'agira pas sans avoir appris la vérité de la part du saint-père lui-même et lui demande également s'il avait connaissance des fautes commises dans l'ordre du Temple, sur base de ce que Philippe le Bel lui a communiqué159. Enfin, Jacques II d'Aragon envoie l'archidiacre de Guarda, Ramón de Montros, auprès des rois Ferdinand IV de Castille et Denis Ier de Portugal159. Sa mission est de leur expliquer la position de Jacques II et de leur enjoindre de faire de même159.

 

Mis en page le 20  novembre 2021