Affaire des templiers partie 1
Procès de l'ordre du Temple
Le procès de l'ordre du Temple est une affaire judiciaire internationale du xive siècle. L'ordre du Temple est accusé en 13071,2 par la royauté française de plusieurs chefs d'accusation comprenant l'hérésie, la simonie, la sodomie et l'idolâtrie3. Cette affaire prend une ampleur particulière car elle met en cause un ordre militaire composé de religieux et également parce qu'elle est une des conséquences de la lutte entre le roi de France Philippe le Bel et le pape Boniface VIII. L'affaire débute au matin du vendredi 13 octobre 13074, et se termine avec la bulle papale Considerantes dudum fulminée par Clément V le 6 mai 13125 et la mort du maître de l'ordre Jacques de Molay sur le bûcher le 11 ou 18 mars 13146. Les biens de l'ordre sont dispersés dans les années qui suivent, notamment le 10 juin 13177 lorsque le pape Jean XXII reconnaît par la bulle papale Ad fructus uberes l'existence de l'ordre de Montesa dans le royaume d'Aragon, ainsi que le 14 mars 13198 en ce qui concerne l'ordre du Christ dans le royaume du Portuga
Les protagonistes[modifier | modifier le code]
L'ordre du Temple[modifier | modifier le code]
L'ordre du Temple est créé le 13 janvier 11299 à l'occasion du concile de Troyes, à partir d'une milice appelée les "Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon". La bulle pontificale Omne datum optimum est fulminée le 29 mars 1139 par le pape Innocent II10. Elle officialise l'ordre du Temple et reconnaît sa règle, accorde à ses membres tout butin conquis sur les Sarrasins en Terre sainte et les place, l'ordre et ses maisons, sous la protection directe du Saint-Siège.
L'ordre œuvre pendant les xiie et xiiie siècles à l'accompagnement et à la protection des pèlerins pour Jérusalem dans le contexte de la guerre sainte et des croisades. Il participe activement aux batailles qui ont lieu lors des croisades et de la Reconquête. Le Temple apporte aussi un financement aux seigneurs qui projettent de partir en croisade, prenant en garantie leur domaine immobilier sous forme d'un acte de vente sous promesse de rachat avec plus-value, appelé à cette époque mortgage. Afin de mener à bien ses missions et notamment d'en assurer le financement, l'Ordre constitue à travers l'Europe chrétienne d'Occident et à partir de dons fonciers, un réseau de monastères appelés commanderies. Ce réseau international lui permet d'être précurseur dans l'utilisation des billets payés de place en place, ou escompte des traites, c'est-à-dire de payer à une personne en Orient, une somme remise en Occident, ou inversement, sans avoir à effectuer le transport spécial de l'argent remis. Le Temple devient ainsi le réseau de transport de fonds le plus sûr et le plus rapide de l'Occident. Cette activité soutenue fait de l'ordre un interlocuteur financier privilégié des puissances de l'époque, le menant même à effectuer des transactions sans but lucratif avec certains rois ou à avoir la garde de trésors royaux.
Les principaux protagonistes sont :
- Jacques de Molay, 23e et dernier maître de l'ordre du Temple ;
- Hugues de Pairaud, maître de province de l'ordre du Temple en France ;
- Geoffroy de Charnay, précepteur de l'ordre du Temple pour la Normandie ;
- Renaud de Provins, commandeur d'Orléans ;
- Pierre de Bologne, procureur de l'ordre en cour de Rome.
Le royaume de France[modifier | modifier le code]
Le royaume de France est, au début du xive siècle, dirigé par la dynastie des Capétiens. Sous le règne de Philippe IV le Bel, le royaume de France atteint l'apogée de sa puissance médiévale. Il est, avec plus de treize millions d'habitants, l'État le plus peuplé de la Chrétienté. Le pouvoir royal accomplit de nombreux progrès, les traditions féodales étant abandonnées pour mettre en place une administration moderne, sous l'impulsion des légistes royaux.
Les principaux protagonistes sont :
- Philippe IV le Bel, roi de France ;
- Guillaume de Nogaret, conseiller du roi et son garde du Sceau ;
- Guillaume de Plaisians, conseiller du roi ;
- Guillaume Humbert, grand inquisiteur de France et confesseur du roi ;
- Enguerrand de Marigny, chambellan et ministre du roi.
La papauté[modifier | modifier le code]
L'histoire de la papauté est inséparable de l'évolution doctrinale de la christologie et de la baisse de puissance des empereurs romains d'Orient. Le pape cherche à affermir son pouvoir spirituel et temporel et à passer du statut de simple évêque de Rome à celui de souverain. Pendant le Moyen Âge, le pape doit affirmer son pouvoir face à l'empereur du Saint-Empire romain germanique (voir la lutte du sacerdoce et de l'Empire) et à la croissance des royautés.
La mort de Frédéric II consacre la victoire de la papauté. Innocent IV, désireux d’en finir avec les Hohenstaufen, excommunie le fils de Frédéric II, Conrad IV, et prêche la croisade contre lui. Les deux hommes meurent en 1254. Après la mort de Conrad IV, l’Empire reste sans souverain jusqu’en 1273. C’est le grand interrègne. Mais la papauté ne jouit pas longtemps de sa victoire. Elle doit faire face au pouvoir montant des monarchies nationales et est à son tour abaissée par le roi de France, Philippe le Bel, après l’attentat d'Anagni en 1303.
Les principaux protagonistes sont :
Contexte du procès[modifier | modifier le code]
Contexte politique[modifier | modifier le code]
Une querelle oppose le roi de France Philippe IV le Bel au pape Boniface VIII, ce dernier ayant affirmé la supériorité du pouvoir pontifical sur le pouvoir temporel des rois, en publiant une bulle pontificale en 1302, Unam Sanctam. La réponse du roi de France arrive sous la forme d'une demande de concile aux fins de destituer le pape, lequel excommunie en retour Philippe le Bel et toute sa famille par la bulle Super patri solio. Boniface VIII meurt le 11 octobre 1303, peu après l'attentat d'Anagni. Son successeur, Benoît XI, a un pontificat très bref puisqu'il meurt à son tour le 7 juillet 1304. Clément V est élu pour lui succéder le 5 juin 1305.
Contexte militaire[modifier | modifier le code]
Le 28 mai 129111, les croisés perdent Acre à l'issue d'un siège sanglant. Les chrétiens sont alors obligés de quitter la Terre sainte et les ordres religieux tels que les Templiers ainsi que les Hospitaliers n'échappent pas à cet exode. La maîtrise de l'ordre du Temple est déplacée à Chypre. Or, une fois expulsé de Terre sainte, avec la quasi-impossibilité de la reconquérir, la question de l'utilité de l'ordre du Temple se pose car il a été créé à l'origine pour défendre les pèlerins allant à Jérusalem sur le tombeau du Christ. D'ailleurs, dès 1274 au deuxième concile de Lyon, ils durent produire un mémoire pour justifier leur existence12. Il faut également considérer que, à la suite du retrait des troupes de terre sainte, les Templiers représentent une force militaire d'importance et entièrement dévouée au pape, équivalente à quinze mille hommes dont mille cinq cents chevaliers entraînés au combat13.
Contexte social et économique[modifier | modifier le code]
Le royaume de France fait face à des difficultés financières. Afin d'y remédier, Philippe IV le Bel dévalue la monnaie, augmente les taxes et impôts, allant même jusqu'à spolier les biens des marchands lombards et des juifs14. Dans le même ordre d'idées, les Templiers possèdent d'importantes richesses, augmentées par les redevances (droits d'octroi, de péage, de douane, banalités, etc.) et les bénéfices issus du travail de leurs commanderies (bétail, agriculture…).
Le climat social est également tendu. Le 30 décembre 1306, une révolte a lieu à Paris contre la hausse des loyers15. Le roi est assiégé dans la Maison du Temple et la maison d'Étienne Barbette, prévôt des marchands de Paris auquel on attribue la responsabilité des altérations de l'argent, est incendiée. À la suite des troubles, une ordonnance royale abolit provisoirement les confréries professionnelles16. Finalement, vingt-huit meneurs de la révolte seront pendus le 5 janvier 130715.
La procédure[modifier | modifier le code]
L'arrestation[modifier | modifier le code]
L'idée de détruire l'ordre du Temple est déjà présente dans l'esprit du roi Philippe IV le Bel, mais ce dernier manque de preuves et d'aveux afin d'entamer une procédure. C'est chose faite grâce à un atout majeur déniché par Guillaume de Nogaret en la personne d'un ancien templier renégat : Esquieu de Floyran. Selon la thèse officielle, Esquieu de Floyran, prieur de Montfaucon, était emprisonné pour meurtre et partageait sa cellule avec un templier condamné à mort qui se confessa à lui, lui avouant le reniement du Christ, les pratiques obscènes des rites d'entrée dans l'ordre et la sodomie. Esquieu de Floyran n’ayant pas réussi à vendre ses rumeurs à Jacques II d'Aragon, y parvient en 1305 auprès du roi de France. Guillaume de Nogaret paye par la suite Esquieu de Floyran afin de diffuser au sein de la population les idées de « reniement du Christ et crachat sur la croix, relations charnelles entre frères, baisers obscènes exercés par les chevaliers du Temple »17.
En même temps, Jacques de Molay, au courant de ces rumeurs, demande une enquête pontificale à Clément V. Ce dernier la lui accorde le 24 août 130718. Philippe le Bel, pressé, n'attend pas les résultats de l'enquête et prépare l'arrestation à l’abbaye Notre-Dame-La-Royale, près de Pontoise. L'ordre d'arrestation est émis le 14 septembre, jour de la fête de l’exaltation de la Sainte-CroixNote 1. Par le mandement du 14 septembre 13074, les sénéchaux et baillis, reçoivent ordre de procéder à la saisie de tous les biens mobiliers et immobiliers des templiers ainsi qu'à leur arrestation massive en France au cours d'une même journée, le vendredi 13 octobre 130719. L'ordre est également donné de ne rien divulguer de cette opération avant le jour prévu. Le but est clair, il s'agit de profiter du fait que les templiers sont disséminés sur tout le territoire et ainsi d'éviter que ces derniers, alarmés par l'arrestation de certains de leurs frères, ne se regroupent et ne deviennent alors difficiles à arrêter.
L'ordre d'arrestation précise les charges qui pèsent contre l'ordre. Le roi y écrit ne pas y avoir cru dans un premier temps, mais que la profusion des témoignages l'obligeait à enquêter :
Il faut ajouter également que cette arrestation est prise en violation du droit canonique, car les templiers n'ont pour seule autorité que le pape. Philippe le Bel obtient l'aval de Guillaume Humbert, son confesseur et grand inquisiteur de France. Celui-ci n'a pas l'accord du pape, mais le roi espère bien que cet appui suffira. Le pape est donc entièrement tenu à l'écart de la décision d'arrêter les templiers, ce qui constitue une violation de ses prérogatives, contre lesquelles d'ailleurs la royauté française mène une importante lutte depuis le début du règne de Philippe le Bel. Ceci n'empêchera pas le roi de France par la suite de prétendre avoir eu l'accord du pape au préalable, ce que Clément V niera ensuite dans une lettre de protestation écrite au roi à la fin octobre.
La veille de l'arrestation, le 12 octobre 1307, Jacques de Molay assiste, à une place d'honneur, aux funérailles de Catherine de Courtenay, épouse de Charles de Valois, le propre frère du roi. S'il a été mis au courant du projet, il n'en a rien montré, car il estime sans doute que la fuite n'arrangerait pas les problèmes de l'ordre, surtout au moment où lui-même avait réclamé une enquête auprès du pape. C'est ainsi qu'aucune mesure n'est prise par l'ordre pour éviter l'arrestation. Les admissions dans l'ordre n'ont d'ailleurs pas cessé au cours du mois précédent.
Au matin du 13 octobre 1307, Guillaume de Nogaret et des hommes d'armes pénètrent dans l'enceinte du Temple de Paris où réside le maître de l'Ordre Jacques de Molay. À la vue de l'ordonnance royale qui justifie cette rafle, les templiers se laissent emmener sans aucune résistance. Un scénario identique se déroule au même moment dans toute la France. La plupart des Templiers présents dans les commanderies sont arrêtés. Ils n'opposent aucune résistance. Quelques-uns réussissent à s'échapper avant ou pendant les arrestations. Les prisonniers sont enfermés pour la plupart à Paris, Caen, Rouen et au château de Gisors. Tous leurs biens sont inventoriés et confiés à la garde du Trésor royal.
Le nombre des personnes arrêtées est difficile à préciser, car les documents ne les recensent pas avec précision. Les procès-verbaux des interrogatoires de la fin octobre indiquent 138 membres de l'Ordre arrêtés à Paris, ainsi que 94 en province. La commission pontificale de 1310-1311 interrogea quelque 231 Templiers, et on en compte 546 détenus dans une trentaine de lieux en 131020.
Le 14 octobre 1307, afin d'apporter du crédit à la cause royale, Guillaume de Nogaret donne le détail des charges pesant sur les templiers à une assemblée de théologiens et de clercs. Il se produit la même chose le lendemain, cette fois-ci dans une foule plus nombreuse et disparate, interpellée par divers agents royaux et dominicains21.
Clément V apprend la nouvelle de l'arrestation des templiers. Il se dirige en hâte à Poitiers, où il arrive le dimanche 15 octobre 1307, afin de commander la tenue d'un consistoire. L'objectif est de mettre en place un tribunal où le pape et ses cardinaux pourront entendre les plaintes et les accusations22. Hugues de Pairaud, se rendant à ce tribunal pour témoigner en compagnie de seize ou dix-sept frères de l'ordre, est pourtant arrêté et emmené à Loches. Le consistoire dure plusieurs jours et le pape décide finalement de s'opposer au roi22. Il écrit d'ailleurs à Philippe le Bel le 27 octobre 1307 pour signifier son indignation devant l'arrestation des templiers et le mépris dont le roi a fait preuve en agissant de la sorte23. Il s'agit d'une atteinte directe aux prérogatives papales et Clément V en est parfaitement conscient. Le combat qu'il commence à mener pour la défense de l'ordre a également, et surtout, pour but la sauvegarde du Saint-Siège23. L'initiative a été prise au nom de l'Inquisition, par l'entremise de Guillaume Humbert, elle a été commandée par un prince séculier et non par le pape.
Les interrogatoires[modifier | modifier le code]
Les consignes données par Philippe le Bel dans son ordre d'arrestation du 14 septembre 1307 révèlent ses intentions quant à la suite à donner à cette affaire24:
Menés par l'Inquisition, les interrogatoires se révéleront particulièrement brutaux, à l'image des moyens employés à cette époqueNote 2. Si l'affaiblissement physique (nourriture limitée à du pain et de l'eau) ou psychologique (influence sur l'émotivité) sont utilisés, on note également l'emploi du chevalet, de l'estrapade et de la brûlure de la plante des pieds25.
Les interrogatoires commencent dès le 19 octobre 1307, soit six jours seulement après les arrestations. Durant la première semaine, Guillaume Humbert prend lui-même en charge l'interrogatoire à Paris d'un premier groupe de trente-sept Templiers, dont Geoffroy de Charnay et Jacques de Molay26. Le premier confesse le 21 octobre 1307 et le second le 24 octobre 130727. Le maître de l'ordre du Temple, âgé d'une soixantaine d'années, fait preuve de peur et d'épuisement devant les pressions subies28. Cet aveu est capital pour Philippe le Bel car il lui permet de jeter le discrédit sur l'ordre du Temple en faisant propager la nouvelle. Il réunit d'ailleurs une assemblée le 25 octobre 1307 au Temple de Paris, composée de chanoines, maîtres religieux et séculiers, bacheliers et écoliers de l'université de Paris, devant laquelle il fait comparaître Jacques de Molay, Geoffroy de Charnay, Gérard de Gauche, Gui Dauphin et Gautier de Liancourt21. Cet événement est à relier à la propagande déjà amorcée les 14 et 15 octobre 1307.
La moyenne d'âge des templiers arrêtés oscille entre quarante-et-un et quarante-six ans, d'après les dépositions29. La majorité d'entre eux est composée de frères d'âge mûr œuvrant dans les commanderies comme bergers, régisseurs ou travailleurs agricoles, ne sont donc pas militaires et n'ont jamais participé aux combats29. La brutalité employée dans les interrogatoires conduit logiquement à ce qu'il n'y ait que peu de déclarations d'innocence. En effet, des cent-trente-huit prisonniers interrogés à Paris, seuls quatre n'avouent rien : Jean de Châteauvillars, Henri de Hercigny, Jean de Paris et Lambert de Toucy30.
Accusations reconnues à Paris en 130731, sur 138 témoinsNote 3 | |
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Reniement | 111 |
Crachat | 121 |
Baisers | 109 |
Conseil de pratiquer l'homosexualité | 99 |
Idole | 8 |
Absolution, euscharistie | 1 |
Les interrogatoires se poursuivent à Paris mais également à Bayeux, Chaumont, Caen, CarcassonneNote 4, Cahors et Sens26. Les résultats des interrogatoires provinciaux ne diffèrent pas de ceux obtenus à Paris, sachant que les mêmes méthodes sont utilisées pour les obtenir. Le 9 novembre 130732, une autre confession vient donner du poids à la démarche de Philippe le Bel, celle d'Hugues de Pairaud. Ces aveux sont aussi importants que ceux de Jacques de Molay pour le roi, car il s'agit ici du maître de province de l'ordre du Temple en France et permet de recouper certaines des informations avec d'autres aveux obtenus dans le royaume32. Suivent les confessions de deux autres dignitaires de l'ordre. Tout d'abord, Raimbaud de Caron, maître de province de Chypre, déclare le matin du 10 novembre 130733 qu'il n'a jamais eu connaissance des faits reprochés. Il revient cependant sur ses déclarations après sa seconde comparution dans l'après-midi de la même journée, probablement sous l'effet de la torture29. Ensuite vient le tour du maître de province d'Aquitaine et de Poitou, Geoffroy de Gonneville le 15 novembre33. L'ajout des aveux de ces hauts dignitaires à toutes les confessions déjà obtenues satisfait le roi, car ceci permet non seulement d'isoler les seuls quatre témoins qui n'a
vouent rien, mais également de penser que le procès va pouvoir être clos rapidement30.
Mis en page le 20 novembre 2021