Histoire de Belgique 3

 

 

Les Pays-Bas autrichiens (1715-1792)[modifier | modifier le code]

 

 

 

Les Pays-Bas autrichiens en 1786, coupés en deux par la Principauté de Liège.

 

Article détaillé : Pays-Bas autrichiens.

 

Lode Wils, dans son Histoire des nations belges présente les Pays-Bas espagnols/autrichiens comme un État fédéral catholique, gouverné par des rois étrangers. Ce sentiment d'appartenir à un État-nation conduira notamment à l'émergence d'une "historiographie nationale des Pays-Bas méridionaux", portant sur l'histoire des Belges (Des Roches en 1782, puis Dewez18 en 1805 et De Smet en 1822), appuyée sur des descriptions d'anciens géographes tels que Guichardin, de Wastelain et d’Ortelius.

 

Déjà, sous le régime espagnol, les cartographes désignaient les Pays-Bas sous les appellations de Belgica Foederata pour les Pays-Bas du nord et Belgica Regia pour les Pays-Bas du sud, future Belgique indépendante.

 

Ce sentiment belge est d'ailleurs confirmé lorsque, en 1757 à Vienne, le Conseil suprême des Pays-Bas est supprimé et remplacé par un "Bureau belge" au sein de la chancellerie du Saint-Empire à Vienne.

 

Il faut toutefois rappeler que le mot "belge" fait référence aux Pays-Bas du Sud, à l'exclusion donc de la Principauté de Liège. Ainsi, en 1792, les patriotes liégeois et belges réfugiés à Paris vont se réunir en un Comité des Belges et Liégeois unis (sous la direction de Walckiers). Mais les Liégeois vont toutefois rapidement se considérer comme Belges au fil des révolutions.

 

Le ferment des révolutions[modifier | modifier le code]

 

 

 

Les Pays-Bas méridionaux (et septentrionaux) sous l'Ancien Régime.

 

C’est à cette époque qu’eut lieu le renversement de ce que l'on appela plus tard l’Ancien Régime dans les différentes régions qui composent aujourd’hui la Belgique. Cette époque marque également le début de leur unification politique.

 

Jusque-là, sous ce régime, chacune des principautés avait sa législation propre, ses pratiques juridiques, sa fiscalité et ses coutumes reconnues par des « privilèges » attribués au cours des siècles par la noblesse et les souverains obligés d'abandonner, petit à petit, des morceaux de leur pouvoir devant les revendications et les soulèvements. Dans l'ensemble, cependant, les pouvoirs locaux ne contestaient pas une autorité supérieure comme celle des ducs de Bourgogne ou de Charles Quint, mais dès que la population et les nobles ressentaient un excès d'autoritarisme, ils réagissaient jusqu'à la révolte armée. Ainsi, l'autoritarisme de Philippe II avait dressé contre lui le peuple, comme cela s'était déjà passé contre les ducs de Bourgogne et Charles Quint. Durant le sanglant conflit contre le pouvoir espagnol, le titre royal de Philippe II ne fut cependant pas contesté, au début, car on continuait à l'appeler le roi, même si on lui contestait le droit d'enfreindre les traités garantissant les droits acquis par le peuple. Cette situation que l'on peut qualifier de « schizophrénie politique » qui consistait à combattre un pouvoir royal que l'on prétendait respecter se compliquait encore par les oppositions entre catholiques et protestants. Quant aux différences linguistique entre les différentes contrées, elles ne constituaient pas un sujet de discorde car les peuples en grande partie illettrés n'avaient guère de communications avec leurs voisins de langue différente. Même à l'intérieur d'un même domaine linguistique les patois dressaient des barrières, que ce soit dans le domaine flamand ou dans le domaine roman. Quant aux dirigeants et aux clercs (l'administration) ils parlaient deux langues pour nombre d'entre eux et, d'ailleurs, souvent, la langue française est utilisée, dans la pratique, comme langue de communication.

 

L’aire politique de ces territoires était éclatée entre duchés, marquisats, etc., comme cela était dans les autres pays d'Europe sous l'Ancien Régime, ces diverses composantes luttant avec plus ou moins de bonheur contre le centralisme de Malines, puis de Bruxelles sous les ducs de Bourgogne, puis sous Charles Quint. Situation inverse de celle de la France où le pouvoir royal était progressivement parvenu à restreindre à son profit les pouvoirs locaux des nobles et des parlements. La Principauté de Liège formait un État à part entière coupant en deux les Pays-Bas méridionaux, eux-mêmes peu homogènes : s’ils avaient un prince unique depuis les ducs de Bourgogne, les Pays-Bas, sous l’Ancien Régime, n’ont jamais constitué un royaume uni sous une commune loi unique. Cependant, Charles-Quint les constitua en un ensemble homogène par la pragmatique sanction destinée à en interdire le démantèlement. Et c'est donc dans la logique féodale que les populations, et même les nobles insurgés, donnaient au fils de Charles Quint, Philippe II, le titre de roi, car le régime féodal fonctionnait sur le principe d'une pyramide de pouvoirs subordonnés les uns aux autres, jusqu'au pouvoir suprême du roi que tous, pour cette raison, considéraient comme le titulaire légal de ce titre qui n'était pas expressément cité dans les constitutions des principautés et provinces, comme l'on disait à l'époque. L'attribution de ce titre découlait et résumait la multiplicité des titres de Charles-Quint et de Philippe II, duc, comte et autres. Et cela est démontré par les nombreuses citations de discours et proclamations des insurgés qui, même, pendant la guerre des Quatre-vingts Ans, continuèrent longtemps à reconnaître ce titre à celui qui était devenu leur ennemi.

 

« C’était une confédération de principautés unies à leurs souverains dans le cadre d’un lien personnel. Le prince était duc de Brabant, comte de Hainaut, comte de Namur…, mais ne portait pas officiellement le titre de roi des Pays-Bas. Dans ce contexte, la « nationalité » était d’abord principautaire : on était avant tout Hennuyer, Brabançon, Luxembourgeois… À la fin du xviiie siècle, en dépit des efforts de centralisation entamés par les ducs de Bourgogne et renforcés par leurs successeurs de la maison de Habsbourg, existaient au niveau des administrations publiques des diverses principautés ou provinces comme on avait coutume de les appeler, des interdictions professionnelles qui frappaient celui qui n’était pas « né et nationné » de la province [c'est-à-dire, né dans la province de parents, eux-mêmes, nés dans la province]19 »

 

Il faut ajouter à cela de très nombreuses principautés romanes indépendantes ou autonomes, tel que la Principauté de Stavelot-Malmedy (600 km2), le Duché de Bouillon (230 km2), le comté d'Empire de Fagnolle (correspondant à un village mais battant néanmoins sa propre monnaie), quelques enclaves françaises (MariembourgPhilippeville…)… Cet inventaire n’est pas exhaustif20.

 

La période des révolutions 1789-1830[modifier | modifier le code]

 

Ces multiples frontières furent balayées lors de la période française qui suivit les soulèvements des révolutions brabançonne et liégeoise. Les révolutionnaires firent table rase de l'ancienne organisation politique et des différentes dénominations géographiques. Ils divisèrent le territoire en neuf départements français : le duché de Brabant sera divisé entre les départements de la Dyle et des Deux-Nèthes, le département de l'Ourthe correspondra à la partie centrale de l'ancienne principauté de Liège, le comté de Hainaut deviendra le département de Jemmapes, etc.

 

Cette division administrative perdurera à l'époque du Royaume uni des Pays-Bas puis dans le Royaume de Belgique, bien que la dénomination des provinces changeât.

 

Mais avant cela, l'ancien régime avait été définitivement ébranlé par les peuples.

 

Les révolutions liégeoise et brabançonne[modifier | modifier le code]

 

 

 

Destruction de la cathédrale Saint-Lambert.

 

Article détaillé : Révolution liégeoise.

 

La Révolution liégeoise (en wallon Revolucion lidjwesse ou Binamêye revolucion) est la période qui va de 1789 à 1795, et qui entraînera la disparition de la principauté de Liège après huit siècles d'existence.

 

Selon certains historiens, la Révolution liégeoise était un miroir de la Révolution française ou en était même une partie. La Révolution en France commença simultanément en 1789 et dans cette interprétation la révolution à Liège continuait après le retour temporaire du prince ; elle connut une deuxième phase avec l'entrée des troupes révolutionnaires en 1792, et une troisième phase en 1794 avec le deuxième retour des Français. Alors, la révolution finit en 1795 par la disparition de la principauté et son incorporation à la Première République française. Pendant cette phase la révolution a montré des épisodes extrêmes, par exemple la démolition de la cathédrale Saint-Lambert par les révolutionnaires liégeois mais également des épisodes prometteurs : les Liégeois purent, pour la première fois, exprimer leur volonté à travers des élections au suffrage universel masculin et un référendum pour la réunion de la Principauté à la France.

 

Selon d'autres, la révolution se déroula pendant la période où le prince-évêque était absent, dès son départ pendant la nuit du 26 au 27 août 1789 jusqu'à son retour le 12 février 1791. Dans cette interprétation, la Révolution liégeoise était la contrepartie de la Révolution brabançonne dans les Pays-Bas autrichiens, qui avait échoué.

 

Cependant, on remarquera que la Révolution liégeoise, à l'instar de la Révolution française, a pour but une remise en question profondément progressiste de l'ordre politique et social, à l'opposé de la Révolution brabançonne qui s'inscrit dans la contestation et le rejet des réformes de Joseph II, les unes progressistes visant à régulariser le statut des protestants et supprimant plusieurs congrégations religieuses trop nombreuses et vivant souvent aux dépens de la population tout en réglementant les coutumes héritées de la religion, notamment quant aux jours de fêtes chômées jugés trop nombreux. Parallèlement, la volonté d'éradiquer les coutumes partait d'un principe réactionnaire qui visait à démanteler ce que l'on appelait les « privilèges », terme qui désignait les droits arrachés aux féodaux au cours de l'histoire et qui dotaient les villes et pouvoirs locaux de droits de justice et d'une forme de protection sociale liées aux métiers qui paraissaient intolérables pour un despote éclairé entendant tout réglementer depuis Vienne.

 

Les contradictions contenues dans les réformes provoquent un double courant de protestations, l'un conservateur, attaché aux coutumes et traditions dans leur ensemble, l'autre libéral favorable aux principes du siècle des Lumières, mais hostile au despotisme des empereurs à Vienne désireux de moderniser les structures de leurs États. Le premier courant a pour chef de file l'avocat Henri van der Noot, le deuxième est groupé derrière l'avocat Vonk.

 

Articles connexes : François-Charles de VelbruckCésar-Constantin-François de Hoensbroeck et Réunion du Pays de Liège à la France.

 

Article détaillé : Révolution brabançonne.

 

En 1789, une insurrection éclate à Bruxelles, en bonne partie réactionnaire et cléricale sous la direction de Van der Noot, qui anéantit les principales réformes du despote éclairé, notamment l'Édit de Tolérance (1781) qui avait tenté d'éradiquer les discriminations dont souffraient les protestants19. Cependant le camp libéral des vonckistes se joint à la révolution, les édits de Joseph II s'étant attaqués à des libertés telles que le droit de justice selon les lois locales que l'empereur voulait réformer en l'unifiant dans un droit impérial unifié conçu à Vienne.

 

Les États-Généraux ne reconnaissent plus l'autorité du souverain et l'armée impériale est battue à Turnhout le 24 octobre 1789.

 

Cette révolution brabançonne donne lieu à des proclamations d'indépendance des différents États, et la création, le 11 janvier 1790, de la confédération des États-Belgiques-Unis. La discorde entre les partis réactionnaire de Vander Noot et progressiste de Vonck gêne cependant considérablement la défense du pays et favorise le retour des troupes régulières Saint-Empire qui rétablissent l'autorité impériale en octobre 1790.

 

Les États-Belgiques-Unis (1790)[modifier | modifier le code]

 

Article détaillé : États-Belgiques-Unis.

 

Cette révolution brabançonne a donné lieu à un état indépendant, les États-Belgiques-Unis.

 

Les États-Belgiques-Unis ne durèrent qu'une année, néanmoins le qualificatif Belgique s'imposa définitivement pour désigner les Pays-Bas autrichiens pendant la période française. L'adjectif belge fut désormais utilisé par les Français pour qualifier les habitants des anciens Pays-Bas autrichiens, par opposition aux citoyens de la Principauté de Liège21.

 

Période française (1795-1814)[modifier | modifier le code]

 

 

 

Subdivisions territoriales de la Première République Française. Le territoire des actuelles province wallonne de Luxembourg et Grand-Duché de Luxembourg correspond au département des Forêts

 

 

 

Bonaparte et Joséphine visitant Anvers en 1803.

 

À peine les autorités impériales et le Prince-Évêque étaient-ils rétablis dans leurs possessions que les armées de la Ire République française envahirent le pays. Après des événements militaires aux fortunes diverses, la France annexa finalement l'ensemble du territoire de la Belgique actuelle, Liège inclus. Si la France unifia politiquement, pour la première fois, la Principauté de Liège et les Pays-Bas méridionaux dans le vaste ensemble que formait l'Empire; à la fin du régime français, on distinguait encore régulièrement les Belges des Liégeois. Ce n'est que sous la période hollandaise que la distinction disparut : en effet, le nouveau Royaume des Pays-Bas était désormais divisé en deux camps : d'un côté les "Hollandais", à soixante pour cent Réformés, avec près de trente pour cent de catholiques, héritiers des traditions de liberté de culte des Provinces-Unies et de l'autre les "Belges" à près de cent pour cent catholiques, héritiers des territoires soumis à l'Espagne. Les Liégeois s'allièrent naturellement aux Belges et c'est dans ce contexte que la fusion « psychologique » entre principautaires liégeois et Belges s'opéra22.

 

Article détaillé : Période française de l'histoire de Belgique.

 

La période française que connurent les territoires qui forment actuellement la Belgique est une époque charnière dans l’histoire de ce pays :

 

« Elle consacre, en effet, la fin des privilèges et du régime seigneurial, la naissance des droits de l’homme, d’un nouvel ordre institutionnel, économique, social et juridique. Elle place sur le devant de la scène un personnage jusque-là effacé dans le débat politique : le peuple. Elle laisse des traces profondes non seulement dans les dispositions législatives ou l’organisation administratives, mais aussi dans les gestes les plus anodins de la vie quotidienne : songeons au bouleversement engendré par la généralisation du système métrique ou du papier-monnaie. Enfin pour notre pays, l’époque française scelle la réunion des provinces des Pays-Bas méridionaux avec la principauté de Liège23. »

 

Si l'Empire français consacre la fin définitive des anciennes divisions territoriales ainsi que la caducité des traités qui, sous l'Ancien Régime, avaient condamné la fermeture de l'Escaut, une hostilité ne se répand pas moins parmi la population belge. L'économie tire certains avantages de la présence française, comme le développement de l'arsenal maritime d'Anvers ou des manufactures d'armes, mais la consommation est pénalisée par le blocus continental. Les catholiques belges, très ultramontains, sont choqués par la rupture entre l'empereur et Pie VI24. La conscription, qui enrôle les jeunes gens dans l'armée de Napoléon, représente un poids croissant : 110 000 conscrits en 1809, 120 000 en 1812, 160 000 en 1813, dont beaucoup laissent leur vie dans les campagnes de Russie et d'Allemagne. Cela déclenche des mouvements comme la guerre des paysans qui sévit en Wallonie dans les dernières années de l'empire. À la fin de 1813, l'insoumission et la désertion atteignent un tel niveau que Paris renonce à appliquer en Belgique la levée de novembre 181325. Pour autant, quand les coalisés entrent en Belgique pendant l'hiver 1813-1814, seule une petite minorité les accueille en libérateurs : cette neutralité de fait des Belges n'incline pas les puissances coalisées en leur faveur et les empêchera d'être représentés au congrès de Vienne26.

 

Chronologie[modifier | modifier le code]

 

  • 1789-1790 : Les Pays-Bas autrichiens et la Principauté de Liège se soulèvent contre leurs souverains respectifs.
  • 1790-1792 : Retour dans le Saint-Empire .
  • 1792-1793 : Occupation française.
  • 1793-1794 : Retour dans le Saint-Empire
  • 1794-1795 : Réoccupation française.
  • 1795-1799 : Directoire.
  • 1795 : Annexion à la France des « neuf départements réunis »
  • 1797 : L'empereur du Saint-Empire renonce à sa souveraineté sur les Pays-Bas et la cède à la France lors du traité de Campo-Formio, les anciens Pays-Bas du Sud font ainsi partie selon le droit international de la République française et non plus du Saint-Empire27.
  • 1799-1805 : Consulat.
  • 1805-1814 : Premier Empire.
  • 1814 : Chute de l'Empire, la Belgique est mise sous tutelle des Alliés puis, en 1815, intégrée au Royaume des Pays-Bas pour reconstituer l'unité perdue des anciens Pays-Bas.

 

Le Royaume-Uni des Pays-Bas (1815-1830)[modifier | modifier le code]

 

Article détaillé : Royaume uni des Pays-Bas.

 

 

 

Le Royaume-Uni des Pays-Bas.

 

Pour affaiblir la France au congrès de Vienne en 1815, les trois grands vainqueurs se divisent l'Europe sans tenir compte des sentiments nationaux. Se référant à une époque historique ancienne, ignorant les évolutions historiques divergentes des deux entités, ils décident de reconstituer les anciens Pays-Bas et réunissent les territoires des Pays-Bas autrichiens (la future Belgique) à ceux des anciennes Provinces-Unies (les Pays-Bas du Nord). Ainsi naît une sorte d'État tampon au nord de la France. L'union des deux pays formait une barrière stratégique contre un éventuel réveil des ambitions françaises. En outre, il y avait une complémentarité économique entre le Sud, avec son charbon et sa métallurgie naissante, et le Nord, avec ses capitaux à investir, sa flotte marchande et ses colonies. À la tête de ce Royaume-Uni des Pays-Bas (ou Royaume des Belgiques), Guillaume Ier d'Orange.

 

Le 18 juillet 1815, le roi publie une constitution en vue de la fusion des deux Pays-Bas. Au nord, les États-Généraux l'acceptent à l'unanimité. Au sud, elle est soumise à 1603 notables belges ; 527 vont voter « pour » et 796 « contre » (dont 126 pour des motifs religieux). Le résultat était donc « contre » à 60 %. Toutefois, dans le décompte des voix, les 280 abstentions seront considérées comme des votes « pour », et il en ira de même pour les 126 votes « contre » à motifs religieux. Le résultat devint alors 933 « pour » et 670 « contre ». Et c'est ainsi que, le 24 août, le gouvernement proclama l'acceptation de la constitution à 58 %.

 

L’opposition aux « Hollandais » était pourtant déjà patente. Ainsi, le 6 mars 1814, plus d'un an avant la naissance du Royaume-Uni, un agent britannique rapportait qu'en Belgique « la quasi-totalité des classes de la société (…) rejettent de façon très nette la Hollande et la Maison d'Orange28. »

 

Dans les faits, la population assiste donc au rétablissement des Pays-Bas d'avant 1581, cette fois sous la forme d'un État garantissant la liberté de culte mais où la présence à côté de nombreux dirigeants catholiques29 de dirigeants protestants30 heurtait la sensibilité des milieux catholiques des anciens Pays-Bas du Sud qui n'étaient pas encore capables d'accepter le pluralisme.

 

Le premier antagonisme, le premier grief, est donc logiquement religieux, et la situation inversée par rapport à 1581. Les 3,5 millions de Belges, des provinces du sud sont majoritairement d'origine catholiques et intégrés dans un nouvel État où de nombreux dirigeants étaient issus des milieux protestants qui formaient une population d'un million deux-cent mille personnes dans les provinces du Nord, y formant la classe urbaine anciennement cultivée, où ne vivaient que 900 000 catholiques, souvent dans le monde rural, ne formant que 40 % de ces provinces, et un roi protestant31. De plus, l'égalité des religions est décrétée : le clergé catholique se sent alors menacé par la minorité des vingt cinq pour cent de protestants du Royaume, et soutient l'opposition dans les campagnes. Cette opposition est surtout marquée en Flandre, et menée par l'évêque de Gand, Maurice de Broglie : une partie du clergé interdit aux catholiques de prêter serment à la Constitution, ce qui les oblige à renoncer à une carrière dans la fonction publique. Ainsi, comme en 1581, la religion sera une des causes directes de la scission des Pays-Bas.

 

Le second antagonisme est économique, encore que le débat soit controversé. Les Belges se plaignaient de la mise en commun de la dette publique : le Nord avait tenu à y inscrire les anciennes dettes des Provinces-Unies, de la République batave et du royaume de Hollande alors que le Sud était exempté de sa part de la dette publique de la France. Pour certains auteurs, le gouvernement favorisait les investissements dans le nord et le roi allait jusqu'à freiner le développement du port d'Anvers pour favoriser les ports du nord32. D'autres, au contraire, insistent sur les efforts du gouvernement pour développer l'industrie belge, en imposant des tarifs protectionnistes pour la protéger de la concurrence britannique, en favorisant Anvers et Ostende à l'égal des ports hollandais, en créant la Société générale (future Société générale de Belgique) pour favoriser l'investissement, en développant les écoles, les industries, les canaux33. Les gens du Nord ont autant de raisons de se plaindre de la charge économique représentée par le Sud que l'inverse et les discussions tournent rapidement au dialogue de sourds : aux réunions des États, les députés du Nord et du Sud ont tendance à voter à l'opposé l'un de l'autre. Dès 1816, les ambassadeurs d'Autriche, de Russie et de Prusse ont perdu toute confiance en la réunion des deux Pays-Bas34.

 

Parallèlement à ces deux antagonismes, le gouvernement devenait de plus en plus autoritaire, vis-à-vis de la liberté de la presse (sous couvert de troubles de l'ordre public) et du clergé catholique. Ainsi, les opposants à ce despotisme se rassemblent, réclamant la responsabilité ministérielle devant le Parlement, ainsi que la liberté de la presse et de l'enseignement.

 

Cette opposition catholique-libéral sera uniquement belge : les catholiques du nord n'ont aucune influence (depuis 1581) et peu de libéraux du nord s'y rallient, préférant rester fidèle au roi. Cela peut s'expliquer par le favoritisme pro-hollandais du royaume (dans la fonction publique et l'armée)35, mais également par le fait que les Belges étaient majoritaires. Leur faire trop de concessions reviendrait à les laisser gouverner le pays, ce que ni le roi ni la population du nord n'accepteraient. La fidélité au roi restera d'ailleurs très présente aux Pays-Bas : pas de question royale à la belge, même sous le règne de l’anti-démocrate Guillaume III

 

Le soulèvement des Belges est alors inévitable, et l'élément déclencheur sera la seconde vague des révolutions en Europe (en 1830). La bourgeoisie prendra alors le pouvoir en août 1830 et, face au souverain absolutiste étranger, sera soutenue par toutes les couches de la société dans l'ensemble du pays, villes et campagnes comprises en Flandre et en Wallonie. On note bien l'hostilité à la révolution d'une partie de la bourgeoisie francophone de Flandre, partisane du roi de Hollande en raison des avantages économiques de sa politique libérale. Mais ce mouvement n'aura pas de succès36. Après la défaite hollandaise dans les rues de Bruxelles suivie du bombardement d'Anvers et d'une tentative avortée de retour de l'armée hollandaise — tentative condamnée par les puissances du traité de Vienne sauf la Russie — la Belgique est reconnue internationalement et dotée d'un statut de neutralité sous la garantie de la France et de l'Angleterre.

 

Quant à la question linguistique, si, au xxe siècle, elle est prépondérante, il n'en fut d'abord rien à l'époque, comme on peut le constater à travers les publications politiques et la presse des premières années qui suivent l'installation du nouveau régime. Aucune opposition sérieuse de nature linguistique n'apparaît chez les adversaires du roi des Pays-Bas. Cependant, l'arrêté royal du 15 septembre 1819 établit le néerlandais comme langue officielle dans les provinces néerlandophones pour la justice et l'administration, les langues populaires n'étant pas protégées (ainsi en ira-t-il de l'allemand dans le Luxembourg). Au début, la bourgeoisie francophone de Flandre ne se sent pas menacée, et pour cause : Guillaume Ier lui-même, bien que roi des Pays-Bas, était francophone (tout comme une bonne partie de la bourgeoise européenne de l'époque). Quant aux Wallons, n'étant pas inclus, au début, dans l'arrêté royal de néerlandisation, ils ne réagissent pas à ce qui ne les concerne pas. Mais la pression graduelle d'une politique linguistique pro-néerlandaise finit par émouvoir l'ensemble de la population de Wallonie et de Bruxelles, surtout dans la bourgeoisie bruxelloise, en bonne partie d'origine flamande mais francisée. Quant à la Flandre, elle a très peu de liens culturels avec les Pays-Bas proprement dits36, étant restée dialectale et, pour cette raison, elle est réfractaire au néerlandais policé que l'on veut lui imposer. Finalement, les griefs linguistiques éclatent brutalement, en 1829, lorsque le roi impose l'usage du néerlandais aux élites et à l'administration de l'ensemble du pays, justice, police, armée. C'est que, à ce moment-là, on ne peut même plus rédiger son testament en français, sous peine de nullité.

 

La révolution de 1830 et l’indépendance[modifier | modifier le code]

 

 

 

Épisode des Journées de septembre 1830, sur la Place de l'Hôtel de Ville à Bruxelles (1835)

 

Article détaillé : Révolution belge.

 

Le 25 août 1830, peu après la Révolution de Juillet en France, Bruxelles se soulève. Les troubles se propagent dans tout le pays et le 27 septembre les troupes gouvernementales, d'abord battues à Bruxelles, reculent partout devant les soulèvements des villes et des campagnes et, en un mois, évacuent l'essentiel des provinces du Sud (seules les citadelles d'Anvers, de Maastricht et de Luxembourg restent aux mains de troupes loyalistes).

 

Dès le 26 septembre, une commission de sûreté est formée à Bruxelles, devenue rapidement gouvernement provisoire. Le 4 octobre 183037, l'indépendance nationale est proclamée et un Congrès national est réuni qui élabore une Constitution promulguée le 7 février 1831. Le congrès, devenu un parlement à deux chambres, la Chambre des députés et le Sénat, recherche un roi et propose le duc de Nemours, fils de Louis-Philippe. Ce dernier refuse par une prudence que lui dicte l'hostilité des puissances européennes à l'installation d'un roi français à Bruxelles, ce qui rappellerait les diverses tentatives de domination française sur la Belgique à travers l'histoire, jusqu'à la récente annexion par la république et l'empire. Une union personnelle du pays avec le roi des Pays-Bas ou de son fils est un temps envisagée par certains conservateurs. Selon les tenants de cette formule, celle-ci n'en aurait pas moins préservé l'indépendance belge, le roi de Hollande ou son fils régnant à la fois sur deux pays séparés. Un tel régime apparaît comme équivoque en ce qu'il ne semble pas garantir une véritable indépendance. Aussi, cette solution est rejetée par le gouvernement et par la population qui ne veut plus des Hollandais. Et ce, d'autant plus que ce qui reste de l'armée hollandaise, réfugiée dans la forteresse d'Anvers avait sanctionné sa défaite en bombardant inutilement la ville, y causant destructions et victimes.

 

La partition entre la Belgique et la Hollande excite les appétits en Europe. Le goût des annexions n'a pas disparu. Si le roi des Pays-Bas n'a pas été capable de garder les Belges, les Français se verraient bien à sa place. Mais, pour éviter des rivalités qui déclencheraient une nouvelle guerre européenne, le ministre français Talleyrand, ambassadeur à Londres, propose un partage de la Belgique. La France prendrait le plus gros morceau avec la Wallonie plus un morceau de Flandre à l'ouest de l'Escaut, le Brabant flamand et Bruxelles, Liège étant donné à la Prusse sans la moindre considération pour la francophilie des Liégeois, les Anglais recevant presque toute la Flandre jusqu'à l'Escaut, Anvers y inclus38Alexandre Gendebien, membre du gouvernement provisoire de Bruxelles, répond tout net, le 6 janvier 1831, par un refus assorti de la menace d'un soulèvement général des Belges contre les armées que les puissances enverraient pour accomplir le dépeçage. Alors que les suites de la révolution polonaise et celles des journées de juillet, en France, ne sont pas encore apaisées, les puissances réunies à Londres veulent éviter une contamination belge chez les peuples voisins. La conférence reconnaît donc l'indépendance belge en janvier 1831 en assortissant celle-ci d'un régime de neutralité.